Une dynamique historique qui a transformé l’industrie du capital-investissement
Le private equity, longtemps domaine réservé à un capitalisme de proximité, est aujourd’hui un pilier incontournable de l’allocation d’actifs des grands investisseurs institutionnels. Parmi eux, les fonds de pension et les endowments universitaires jouent un rôle central. Non seulement en raison de l’ampleur de leurs engagements, mais aussi de par leur exigence stratégique, leur horizon de long terme et leur capacité à structurer les pratiques du secteur.
🧾 Un « endowment » est juridiquement un fonds de dotation constitué de capitaux donnés à titre irrévocable à une institution (généralement universitaire ou philanthropique), et dont le capital est investi à long terme. Seuls les revenus générés par cet actif sont utilisés pour financer les missions d’intérêt général de l’institution, conformément à des règles de gestion fiduciaire strictes.
📜 Un tournant historique : des origines confidentielles à l’institutionnalisation
Jusqu’aux années 1980, le private equity était un monde confidentiel, fragmenté, peu réglementé, souvent lié à des fortunes privées ou des réseaux bancaires locaux. Tout change avec la montée en puissance des investisseurs institutionnels, en particulier les fonds de pension publics américains et les grandes universités. Ce basculement transforme en profondeur la structure et la gouvernance du capital-investissement.
Quelques repères clés :
1978 : Réforme de l’ERISA Act aux États-Unis, qui ouvre la porte aux investissements des fonds de pension dans les actifs alternatifs.
Années 1980 : Premiers engagements de CalPERS, CalSTRS, Yale et Harvard dans le private equity.
1990–2000 : Explosion des fonds LBO, structuration du secteur, montée en gamme des LPs.
2000–2020 : Internationalisation du modèle, émergence de véhicules internes et de stratégies directes.
Depuis 2020 : Co-investissements, démocratisation via les fonds semi-liquides, montée de l’ESG et de l’impact.
- par le Big Beautiful Bill du 4 juillet 2025 ,Trump a voulu frapper « les élites » qui lui résistent en augmentant les taxes sur les revenus des placements des endowments en portant le taux de 1,4 % à 4% ou 8%.
📊 Des montants colossaux : plus de 1 500 milliards de dollars engagés
Les fonds de pension et les endowments US représentent ensemble près de 1 500 Mds USD sengagés dans les dernières 30 années sur un total estimé à 4 000 milliards.
Type d’investisseur | Montant estimé (USD) | Part du total PE |
---|---|---|
Fonds de pension publics | 800 Mds | 20 % |
Fonds de pension privés | 450 Mds | 11 % |
Universités & fondations | 300 Mds | 7 % |
Autres (assureurs, FO…) | 2 450 Mds | 62 % |
🏦 Fonds de pension : des investisseurs en quête de rendement structurel
Confrontés à des obligations de paiement à long terme et à un environnement prolongé de taux bas, les fonds de pension se sont naturellement tournés vers les actifs alternatifs, et notamment le private equity, pour capter du rendement et lisser la volatilité.
Leur exposition a suivi une progression régulière :
1980 : exposition quasi-nulle
1995 : 2 à 4 %
2020 : entre 8 et 15 %
2024 : jusqu’à 20 % dans certains cas
🧭 Étude de cas : CalPERS, pionnier du private equity institutionnel
Parmi les géants institutionnels, CalPERS (California Public Employees’ Retirement System) occupe une place à part. Ce fonds de pension public californien, l’un des plus importants au monde, s’est engagé très tôt dans le private equity. Son histoire illustre à elle seule la trajectoire de professionnalisation des investisseurs institutionnels dans le non coté.
Tout commence au début des années 1990, lorsque CalPERS décide d’allouer une fraction modeste de son portefeuille – à peine 1 % – à cette classe d’actifs encore méconnue. À l’époque, l’idée d’investir dans des fonds de LBO ou de venture capital suscite scepticisme et prudence. Mais l’institution californienne y voit une opportunité : celle d’échapper à la pression des marchés cotés, tout en accédant à des sources de rendement plus élevées sur le long terme.
Les années 2000 marquent une première accélération. CalPERS dépasse 5 % d’exposition, en multipliant les partenariats avec des fonds américains et internationaux. En parallèle, il développe des équipes internes capables d’analyser, de sélectionner et de négocier ses engagements dans une logique industrielle. À l’aube des années 2010, près de 10 % du portefeuille est investi en private equity, avec une stratégie plus ciblée et des exigences accrues en matière de reporting et d’alignement d’intérêts.
En 2020, le cap des 12 % est franchi. CalPERS s’oriente vers le co-investissement direct, l’accès désintermédié aux sociétés non cotées, et l’intégration progressive de critères ESG. En 2024, le fonds déclare près de 71 milliards USD engagés dans le private equity, soit 13 % de ses actifs totaux.
Cette montée en puissance s’accompagne de résultats : en 2023, le portefeuille PE de CalPERS affiche un rendement annualisé de 14,1 % sur 10 ans, contre 8,6 % pour les actions cotées. Le fonds met également en avant son influence croissante dans les négociations avec les GPs, grâce à sa taille et à son expérience.
🎓 Universités : la stratégie Yale comme matrice
C’est sans doute à Yale que l’on doit la plus grande révolution intellectuelle en matière d’allocation institutionnelle. Sous l’impulsion de David Swensen(https://www.chronograph.pe/the-evolution-of-the-yale-model-for-institutional-investing), dès les années 1980, l’université a repensé en profondeur sa stratégie d’investissement. Exit la dominance des actions cotées. Place à un portefeuille diversifié, international, illiquide, aligné avec l’horizon perpétuel d’un endowment universitaire.
Le « Yale Model » repose sur trois piliers :
Un horizon très long permettant d’absorber l’illiquidité.
Une sélection rigoureuse de GPs offrant un alpha différenciant.
Une discipline stricte de diversification et de gestion du risque.
Entre 1990 et 2020, Yale a enregistré une performance annualisée de plus de 12 %, loin devant les portefeuilles classiques (60/40). Ce modèle a essaimé dans tout l’écosystème américain : Harvard, Stanford, MIT, mais aussi de nombreux hôpitaux, fondations et musées (Barron’s)(https://www.barrons.com/articles/yale-harvard-university-endowment-private-equity-b54dee2f).
Chiffres 2024 :
Yale : 40,7 Mds USD, 36 % en PE
Harvard : 50,7 Mds USD, 23 % en PE
Stanford : 30 % en PE
🛑 Universités : tensions récentes sur la liquidité – le cas Harvard
En avril 2025, Harvard Management Company (HMC) a annoncé (Bloomberg)(https://www.bloomberg.com/news/articles/2025-04-24/harvard-in-talks-to-sell-1-billion-of-private-equity-stakes) vouloir céder environ 1 milliard USD de participations en private equity sur le marché secondaire, en réponse à des besoins accrus de liquidité et à une baisse des distributions des fonds. Cette opération, menée avec des acteurs comme Lexington Partners, concerne environ 2 % de l’endowment de Harvard (50,7 Mds USD).
Bien que modeste en volume, cette décision reflète les tensions actuelles sur la liquidité des actifs non cotés, y compris pour les institutions les plus prestigieuses (Financial Times)(https://www.ft.com/content/b2093365-f19a-4c3e-ac90-5ce70099be37). Elle illustre les limites du modèle des endowments lorsque les flux de distribution ralentissent et que les appels de capitaux se poursuivent.
📈 Performances : une surperformance constante
Selon Cambridge Associates , en 2023, le private equity mondial a généré un TRI net médian de 14 % sur les vingt dernières années, contre 8 % pour le S&P 500. Cet écart s’explique par la capacité des meilleurs GPs à créer de la valeur hors marché et par la patience des LPs institutionnels.
Les premiers entrants – Yale, CalPERS, Ontario Teachers – ont souvent obtenu un accès préférentiel aux meilleurs fonds, consolidant ainsi leur avance.
🌍 Une tendance mondiale asymétrique
Évolution géographique :
États-Unis : pionniers et leaders incontestés
Canada : approche directe et intégrée (CPPIB, OTPP)
Europe : croissance progressive, freinée par la réglementation
Asie & Moyen-Orient : montée en puissance des fonds souverains (GIC, ADIA, Temasek)
En France, malgré la loi Pacte et l’ouverture des PER, les allocations au private equity restent encore faibles dans les grands régimes par répartition.
🔬 Vers une croissance continue
Selon Preqin, les actifs sous gestion du private equity mondial devraient atteindre 6 000 milliards USD d’ici 2028. Les moteurs sont multiples :
Besoin accru de rendement à long terme
Recherche de diversification réelle
Maturité croissante des LPs
Montée de l’ESG et des stratégies d’impact
Élargissement de l’accès à des publics semi-institutionnels
✅ Conclusion : une révolution institutionnelle
L’entrée des fonds de pension et des universités dans le private equity ne fut ni rapide ni accidentelle. Elle est le fruit de quarante années de construction patiente, de professionnalisation, d’alignement d’intérêts et de recherche de performance dans la durée.
Aujourd’hui, ces investisseurs ne sont plus des financeurs passifs : ils sont les architectes du capital-investissement moderne. Leur influence façonne les règles du jeu, les modèles économiques et les standards éthiques du secteur.