La professionnalisation du marché
Depuis 2000, le Private Equity a profondément changé et s’est professionnalisé.
- Face aux industriels, les sociétés de capital investissement ne sont plus perçues comme une solution de rechange, mais comme des acteurs économiques à part entière. La concurrence entre les fonds, que certains considèrent comme exacerbée, les a poussés à une plus grande sophistication, ce qui leur impose de devoir être capables de proposer des structures financières plus créatives afin d’augmenter leurs stratégies de différenciation ;
- le marché est presque totalement intermédié par les intervenants du conseil : départements spécialisés des banques pour la dette LBO, banques d’affaires pour les opérations de fusions-acquisitions, avocats, auditeurs… ;
- les organisations professionnelles (Invest Europe, France Invest, BVA) ont promulgué des guides d’évaluation et des codes de déontologie et ont recommandé de bonnes pratiques en matière d’ESG ; la plupart des équipes ont acquis réflexes et expérience en traversant des crises (récession du début des années 2000, éclatement de la bulle Internet, éclatement de la bulle LBO, crise du COVID).
L’adaptation du modéle à l’économie du XXIéme siécle
Le Private Equity qui a commencé aux États-Unis, puis a gagné l’Europe, est un phénomène mondial tant par les fonds investis que les fonds levés. Il connaît une compétition accrue et, par voie de conséquence, une augmentation des valorisations et des volumes investis.
Les challenges sont nombreux :
- compliance avec une réglementation de plus en plus exigeante ;
- respect des principes ESG ;
- transformation des entreprises sous la pression de la technologie (AI en particulier) ;
- baisse attendue de rendements liée en grande partie à la baisse des multiples ; recherche d’apport non limité aux techniques financières (développement des operatings partners).
Le développement du Crowfunding
Littéralement, crowdfunding signifie « financement par la foule ». En français, on parle de financement participatif. Cette technique, rendue possible par les développements d’Internet, permet par l’intermédiaire de plateformes web de mettre en contact sociétés, porteurs de projets et investisseurs individuels. On évoque souvent la collecte menée par Auguste Bartholdi en 1875 pour la construction de la statue de la liberté, qui a réuni 160 000 contributeurs comme l’ancêtre et leprécurseur de la technique.
Il existe plusieurs types de crowdfunding : le don (avec une contrepartie non financière) pour financer en préachat un produit (don avec récompense) ou financer un projet social (don sans récompense), le crowdlending via des prêts gratuits ou rémunérés et, enfin, le crowdequity destiné essentiellement à financer du capital dans une entreprise.
Le baromètre du crowdfunding en France pour 2022 montre le développement exponentiel du marché : de quasiment confidentiel en 2015 avec 167 millions d’euros levés, le montant a atteint 2,3 milliards d’euros en 2022. La plus grande partie est représentée par le crowdlending, mais l’equity a atteint 150 millions d’euros(une croissance de près de 50 % par rapport à 2021) dans 375 projets et une moyenne de 90 financeurs. 2023 connait un recul à 2,09 milliards, mais une croissance du crowdequity qui passe de 150 millions en 2022 à 267,2 millions en 2023.
C’est aujourd’hui plus de 157 000 projets qui sont financés de cette manière.
L’évolution du paysage des fonds d’investissement : accélération du rythme de levée de fonds, montée en puissance des méga-fonds et envolée de la dry powder
Depuis plusieurs années, nous observons des levées de fonds avec des objectifs de collecte toujours plus élevés. En 2023, les méga-fonds de buy-out (plus de cinq milliards de dollars) représentaient plus de la moitié du capital levé au coursde l’année (51 %). Au vu des conditions économiques instables, les investisseurs ont montré une nette préférence pour les stratégies à faible risque, typiquement dirigées vers les fonds très larges.
Pour donner un exemple récent, en juillet 2023, on apprenait que CVC Capital Partners, la troisième société de Private Equity européenne, avait levé le plus grand fonds de Private Equity. Avec ces 26 milliards d’euros dédiés au buy-out, CVC Capital Partners IX dépasse le fonds Blackstone Capital Partners VIII (2019) et ses 26,2 milliards de dollars. Ce succès est remarquable compte tenu des conditions actuelles du marché.
De manière inattendue, le pourcentage de capital levé en Europe par les cinq plus gros fonds est passé de 37,9 % en 2015 à 54,2 % en 2023, alors que le montant levé pour les cinq plus gros fonds aux États‑Unis est resté sensiblement en dessous de 30 %.
Le chiffre pour l’Europe en 2023 est dû en particulier aux levées de fonds records de CVC IX (26 milliards d’euros), Permira (16,7 milliards d’euros), KKR European Fund (7,5 milliards d’euros), PAI VIII (7,1 milliards d’euros) et Bain VI (6,5 milliards d’euros). Le capital investissement attire de plus en plus d’investisseurs, tandis que les investisseurs existants augmentent leurs allocations, comme CalPERS (California Public Employees’ Retirement System) qui a décidé d’augmenter son allocation de 13 % à 17 %.
De ce point de vue, la position du fonds souverain norvégien, le Government Pension Fund Global (GPFG), qui se refuse à allouer des fonds au Private Equity, fait bande à part.
Malgré une baisse sur les années 2022 et 2023, le rythme des engagements a également progressé de manière constante. Dans le cas des fonds de buy-out, l’intervalle entre les générations successives de fonds (la période entre la création du fonds A et du fonds B, son successeur) a diminué de 35 % au cours de la dernière décennie. Au lieu d’attendre cinq ans, les General Partners (GP) reviennent aujourd’hui vers les Limited Partners (LP) tous les trois ans.
Enfin, le taux de « dry powder » (capital disponible non investi) dans le monde a augmenté pour atteindre un nouveau record de 3,7 trillions de dollars au 30 juin 2023.
L’intégration des mesures ESG
Ce cadre est utilisé pour évaluer la durabilité et l’impact éthique des investissements et des pratiques commerciales. En intégrant les considérations ESG, les parties prenantes visent à promouvoir des pratiques responsables et durables qui génèrent des résultats positifs pour l’environnement, la société et la gouvernance d’entreprise.
Les sociétés de capital investissement intègrent de plus en plus les considérations ESG dans leurs stratégies d’investissement. Cette approche leur permet d’améliorer la création de valeur à long terme tout en relevant les défis et les risques liés au développement durable. En tenant compte à la fois des rendements financiers et des facteurs ESG, les sociétés de capital investissement visent à générer des résultats environnementaux et sociaux positifs, en promouvant des pratiques commerciales responsables et durables dans l’ensemble des entreprises de leur portefeuille. Le chapitre 17 du livre spécialement dédié à ce sujet reprend plus en détail l’ESG et son intégration au capital investissement.
Il ressort des statistiques issues du Global Private Equity Responsible Investment Survey 2023 que :
- 69 % des répondants priorisent l’ESG dans leur stratégie ;
- 56 % des investisseurs ont interrompu un deal pour des raisons liées à l’ESG au moins une fois en 12 mois ;
- 40 % des répondants affirment que l’ESG a un impact sur la valorisation de sortie de l’actif.
Le carried interest ou les rémunérations des gérants des fonds sont-elles choquantes ou anormales ?
Un récent article paru dans le journal économique français Les Echos (édition du 26 juin 2024) faisait état d’un montant de carried interest (CI)de 1 000 milliards de dollars distribué dans le monde depuis 25 ans. La réponse traditionnelle formulée par les associations nationales ou régionales afin de justifier ces montants s’articule autour de plusieurs points factuels :
• Premièrement, le contrat. Cette rémunération résulte d’un accord entre l’investisseur (LP) et l’équipe de gestion du fonds (GP). Le principe de distribution de 20 % des profits au-delà d’un retour minimum (hurdle rate) est une donnée de base de ce contrat dont les termes ont été définis il y a des décennies par les pionniers anglo-saxons du PE, sans grand changement malgré les évolutions des marchés de dette en particulier. Le hurdle rate, qui se situe autour de 7 à 8 % par an, est resté quasiment stable, alors que le taux d’intérêt des banques centrales faisait un bond entre 2020 et 2022. Si, dès lors, ces termes sont contractuels et donc librement négociés, pourquoi faudrait-il venir contester cette rémunération ?
• Deuxième argument de défense, l’alignement d’intérêt. Cette participation inégalitaire consiste en un alignement d’intérêts entre LP et GP, puisqu’il ne se déclenche que si (et seulement si) l’investisseur a reçu un retour substantiel.
• Enfin, ce que l’industrie appelle le « skin in the game ». En effet, le GP met lui même son propre argent à risque : on parle du « 1 % commitment », c’est à dire le montant que les membres de l’équipe de gestion mettent personnellement dans les fonds qu’ils gèrent. Ce 1 % se retrouve généralement augmenté à 2‑5 % dès lors que l’équipe a déjà touché un ou plusieurs CI dans les fonds précédents. Après tout, quand on voit le montant des stocks options distribué chaque année aux dirigeants des sociétés cotées qui n’ont pas investi dans leurs sociétés, on ne comprendrait pas que cette « surrémunération » (une nouvelle fois, basée sur la performance), qui peut conduire à multiplier le retour sur investissement de 10 à 20 fois pour le GP, soit un sujet de débat.
Donc, circulez, il n’y a rien à voir !
Et pourtant, la taxation du CI fait l’objet de débats historiques dans tous les pays, et ce depuis qu’il est distribué. En effet, la question qui anime les administrations est la suivante : s’agit-il d’une plus-value liée à un investissement stricto sensu ou d’une plus-value liée à un investissement accessible seulement via la qualité de manageur-salarié d’un fonds. On connaît la différence qui peut varierd’un pays à l’autre : de 0 % de taxation (traitement belge des plus-values faisant à présent l’objet de discussions), en passant par 20 % aux États‑Unis actuellement, et jusqu’à 125 % (combinaison de la tranche d’impôt de 75 %pour les revenus dépassant un million d’euros avec les cotisations socialesà payer par la société employeuse) dans la promesse de campagne de Francois Hollande en 2012. Après Elizabeth Warren et sa fameuse Stop Wall Street Looting Act introduite sans succès au Sénat en 2021, la taxation du capital investissement fait débat au Royaume‑Uni, où le Labour Party étudiait la possibilité de passer la taxation de 28 à 45 %.Cette remise en cause de la taxation fait généralement suite à des attaques substantielles sur le modèle de financement du Private Equity, lui-même parfois avaleur de « fees ». Pas faux quand on lit la notice d’introduction de CVC à la bourse d’Amsterdam, où il est clairement indiqué que le CI n’a rapporté(en 2023) « que » 394 millions d’euros contre 745 millions de management fees.
Aussi, d’autres critiques fusent ! Certains qualifient le Private Equity de destructeur d’emplois par ses opérations de démembrement (asset stripping) ou de croissance (selon eux, l’effet de levier tuerait l’investissement et donc les profits de demain et l’emploi d’après-demain).
Les professionnels du secteur ont depuis longtemps démontré l’inanité de telles critiques à partir d’études documentées, mais néanmoins, l’ambiguïté demeure sur la nature du CI qui s’apparente à la question théologique du sexe des anges débattue lors du siège de Constantinople par les Turcs en mai 1453.