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23. La Governance dans les opérations de Private Equity

Avec la collaboration d’Eric DEJOIE 

Discipline, alignement et création de valeur

Dans le private equity, la gouvernance n’est pas une formalité : c’est le moteur de la performance.
Loin de la gouvernance diluée des sociétés cotées( où elle est parfois totalement dans la main du management avec un risque de faible représentation des actionnaires  ou de complaisance), de sociétés familiales (risque de conflit intra familiaux) ou de groupes (prise en compte de priorité externe das le cas de filiale )le modèle PE repose sur une organisation resserrée, des décisions rapides et un alignement total entre capital et management.
Ce n’est pas seulement une gouvernance de contrôle, mais une gouvernance d’action et de transformation.

Gouverner pour transformer, pas pour surveiller

L’investisseur de private equity agit comme un architecte stratégique.
Son rôle n’est pas d’assister à des réunions, mais de définir le cap, d’arbitrer les ressources et d’assurer l’exécution du plan de création de valeur.
Chaque décision prise vise à renforcer la croissance, la rentabilité, l’attractivité.Et elle passe par les décisions du Board  (Conseil d’administration ou Conseil de Surveillance)

La question de savoir si la gouvernance doit se mettre au service exclusif des actionnaires ou au service de la stratégie de l’entreprise (dont le premier objectif est la pérennité à long terme de l’entreprise avant même la croissance du CA/rentabilité qui en sont des moyens) n’est pas simple : la gouvernance reflète-t-elle un alignement entre ces 2 éléments ou doit-elle agir au service d’un compromis entre des objectifs seulement partiellement alignés (voire potentiellement en contradiction dans certains cas) ?

Le Board : le cockpit de la création de valeur

Dans une société sous LBO, le board se compose généralement de 5 à 7 membres : CEO , DAF parfois ,représentants du fonds,et éventuellement un ou deux administrateurs professionnels choisis par le fonds
Les décisions s’y prennent sur la base d’informations factuelles et d’un reporting standardisé au minimum mensuel. Les administrateurs professionnels , souvent anciens dirigeants du secteur, jouent un rôle clé : ils apportent du recul et de l’expérience

Par ailleurs un board qui passe la moitié du temps à discuter et échanger sur le reporting ou le current trading ne fait pas bien son boulot. Sauf difficulté majeure, ces sujets ont vocation a être traités en dehors des boards et les questions éventuelles sur ces sujets discutées en amont entre ses membres (qui ont accès au reporting) et le CEO et/ou le CFO.

Idéalement il devrait se soumettre régulièrement à une évaluation (auto-évaluation ou par un tiers) afin de mesurer son efficacité et pouvoir procéder aux ajustements éventuellement nécessaires (par exemple changement de certains membres indépendants non pertinents).

Les comités spécialisés dans les grandes sociétés:

  • Audit et Finances : suivi du cash, de la dette, du budget, des covenants.
  • Rémunération et nominations : validation des objectifs, des bonus et du management package.Depuis quelques années, un comité ESG s’y ajoute fréquemment.
    Les fonds comme EQT, Ardian ou Bridgepoint y intégrent les indicateurs environnementaux, sociaux et de gouvernance comme critères de performance à part entière.

Les décisions structurantes : le cœur du pouvoir PE

La force de la gouvernance PE tient à sa concentration :
les boards ne se dispersent pas, ils tranchent quelques décisions structurantes — celles qui changent le destin de l’entreprise.

  1. Définir et ajuster la stratégie

Préférablement avant  le closing, le fonds et le management bâtissent un BP qui est un véritable plan de création de valeur et définition d’un management package
C’est la boussole de la gouvernance : choix des marchés, des axes de croissance, des acquisitions, des marges cibles.
Le board valide les inflexions, adapte la trajectoire et réalloue les moyens.

  1. Recruter, récompenser, remplacer

Le choix du management est la décision la plus stratégique du fonds.

« Un bon manager dans un mauvais business crée de la valeur.
Un mauvais manager dans un bon business la détruit. »

Les fonds interviennent sans hésitation :

  • remplacement du CEO s’il ne porte plus la vision,
  • recrutement de profils de scale-up ou d’intégration post-acquisition,
  • Intégration d’un Operating Partner à côté du dirigeant
  1. Structurer le capital

Autre levier décisif : la structure financière.
Le board décide du niveau d’endettement, des refinancements intermédiaires, des augmentations de capital ou des distributions partielles (recaps).

Une gouvernance PE gère activement sa dette : elle la fait travailler au service de la performance.
Trop de levier fragilise ; trop peu détruit du rendement.
Les meilleurs fonds ajustent le gearing en fonction du cycle de croissance de l’entreprise, pas d’un dogme financier et n’hésitent pas à procéder à des dividendes recap

  1. Piloter la croissance externe

Les opérations de build-up sont souvent le principal moteur de croissance.
Chaque acquisition est une décision de gouvernance : validation de la cible, financement,intégration.
Les boards se réunissent ad hoc pour arbitrer rapidement sur des dossiers stratégiques.

  1. Préparer la sortie : gouvernance du timing et des options

Dernière catégorie de décisions structurantes : la sortie.
Elle est préparée très tôt — souvent dès la deuxième année d’investissement.

Le board décide :

  • du timing optimal (lorsque la trajectoire de performance et le marché se croisent),
  • du type de sortie (cession industrielle, secondary buy-out, IPO),
  • de la stratégie de valorisation (multiples comparables, business plan projeté),
  • et de la distribution du produit de cession (management package, carried interest).

Une bonne gouvernance prépare la sortie sans jamais en faire une obsession.
Le risque inverse — celui d’un pilotage à court terme pour « faire la photo » — détruit souvent de la valeur à long terme.

  1. La méthode PE : rigueur et collégialité

Ce qui distingue la gouvernance private equity, ce n’est pas seulement la nature des décisions, mais leur méthode :

  • Décisions factuelles, sur base de données vérifiées.
  • Discussions brèves, orientées action.
  • Vote collégial, mais avec leadership clair du fonds.
  • Traçabilité stricte des décisions (minutes, suivi des résolutions).

C’est une gouvernance haute fréquence et haute intensité, où chaque décision doit pouvoir se justifier devant les investisseurs du fonds (LPs) et où l’agenda du conseil est resserré sur ce qui compte : la création de valeur.

Les garde-fous : indépendance et clarté

La gouvernance PE ne se résume pas à une mainmise du fonds.
Elle fonctionne grâce à trois contre-poids essentiels :

  1. Des administrateurs capables de challenger le fonds.
  2. Des pactes d’actionnaires équilibrés (veto, reporting, liquidité).
  3. Des chartes de gouvernance explicites, précisant le périmètre des pouvoirs.

Ce cadre réduit les dérives : micro-management, court-termisme, ou excès de levier.
La discipline structurelle du PE protège l’entreprise autant qu’elle la pousse.

La nouvelle frontière : gouvernance responsable

Depuis cinq ans, la gouvernance des fonds évolue profondément :

  • Intégration systématique des critères ESG dans les décisions d’investissement.
  • Inclusion croissante du middle management dans le processus stratégique.
  • Montée en puissance des comités de durabilité et de diversité.

Conclusion : une gouvernance entrepreneuriale sous contrainte

La gouvernance PE n’est pas un modèle abstrait.
C’est un système qui transforme le capital en décisions et les décisions en performance.
Elle repose sur trois piliers :

  1. Décider vite, sans inertie.
  2. Décider sur des faits, pas sur des opinions.
  3. Décider avec des dirigeants alignés.

C’est cette alchimie — discipline du capital, agilité de l’entreprise et responsabilité du dirigeant — qui fait du private equity une école d’efficacité managériale.
Un modèle de gouvernance exigeant, mais exportable, parce qu’il repose sur la logique la plus simple du capitalisme : la clarté et la responsabilité.