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20.Comment ( bien) organiser un comité d’investissement dans un fonds de Private Equity

Le comité d’investissement (Investment Committee, IC) est l’organe central de gouvernance d’un fonds de private equity. Il concentre à la fois la responsabilité fiduciaire vis-à-vis des investisseurs et la discipline stratégique qui garantit la cohérence du portefeuille. Son organisation détermine la qualité des décisions d’investissement/désinvestissement et, in fine, la performance du fonds.

1.Rôle et responsabilités du comité d’investissement

Le comité d’investissement est chargé de :

  • Valider les investissements et désinvestissements : approbation des deals proposés par l’équipe d’investissement (buyout, growth, venture, infrastructures…).
  • Garantir la discipline stratégique : veiller à ce que chaque transaction corresponde au mandat du fonds (secteurs, géographies, taille des tickets, horizon de détention).
  • Évaluer les risques : apprécier le rapport risque/rendement, la robustesse des due diligences et les mécanismes de gouvernance proposés.
  • Assurer l’alignement avec les LPs : respecter les contraintes définies dans le Limited Partnership Agreement (LPA).
  • Il est aussi l’organe qui revoit périodiquement le portefeuille , « planifie » les sorties et arrête les valorisations trimestrielles

👉 Comme le note Michael Jensen (1989, The Eclipse of the Public Corporation), le succès d’un fonds repose sur une gouvernance forte permettant d’éviter les biais individuels et les dérives opportunistes.

2.Composition optimale

La composition du comité d’investissement varie selon la taille et la culture du fonds, mais certaines bonnes pratiques émergent :

  • Nombre restreint de membres : entre 5 et 7 est souvent considéré comme idéal (trop large = inefficacité, trop réduit = manque de diversité de points de vue).
  • Mix d’expériences :
    • Général Partners (GPs) seniors pour incarner la stratégie du fonds.
    • Operating partners ( s’ils existent)ou experts sectoriels apportant un regard terrain.
    • Éventuellement, un membre indépendant pour renforcer la crédibilité et limiter les conflits d’intérêts.
  • Présidence claire : confiée au Managing Partner ou au CEO, ou à tour de rôle entre les partners.

👉 Selon une étude de Harvard Business School (Kaplan & Strömberg, 2009, Leveraged Buyouts and Private Equity), la diversité des profils au sein du comité est corrélée à une meilleure performance ajustée du risque.

3.Processus de décision

Un comité efficace se caractérise par un processus structuré :

a)Le dossier d’investissement est généralement étudié au moins deux fois : lors d’un Pré Comité .A cette fin on utilise un document synthétique appelé parfois four-pager qui permet de prendre position sur des aspects critiques et préliminaires : MBI/MBO , secteur,taille.C’est souvent à partir de cette phase que la société de gestion engage des frais de due diligence

b)préparation rigoureuse :

    • Dossier d’investissement standardisé (Investment Memo) de 30–60 pages.
    • Résumé exécutif clair pour faciliter les arbitrages.(exec sum)
    • Synthèse des résultats des due diligences (financières, fiscales, ESG, opérationnelles)et renvoi des versions complètes en Annexe
    • Envoi des documents au préalable ( ex : minimum 2 business days) assorti d’un agenda précis

          c)discussion contradictoire :

    • Présentation par le deal team.
    • Questions-réponses systématiques.
    • Contre-argumentation interne : certains fonds désignent un devil’s advocate chargé de souligner les risques majeurs.

d)Décision :

    • Vote à la majorité qualifiée (souvent 2/3 ou unanimité)
    • Qui peut être exprimé d’une manière différente en cas d’investissement ou de désinvestissement
    • Procès-verbal détaillé pour la traçabilité, en particulier pour répondre aux exigences de l’AMF, de la SEC ou de l’ESMA.

👉 D’après Invest Europe (Professional Standards Handbook, 2023), la mise en place d’un processus de documentation robuste est un facteur clé de transparence et de confiance auprès des LPs.

4.Fréquence et organisation pratique

  • Réunions régulières : mensuelles au minimum ou bi-hebdomadaires selon le deal flow avec  un calendrier annuel et une régularité ( ex : un jour de la semaine qui se répète à l’infini ;
  • Flexibilité : capacité à convoquer des comités ad hoc pour saisir une opportunité.
  • Support digital : plateformes sécurisées (Intralinks, DealCloud, iDeals) pour la circulation des documents et le vote à distance.
  • Durée des réunions : entre 3 et 6 heures, avec un ordre du jour clair, des pauses pour éviter la consultation permanente des portables
  • Souvent présence de l’équipe du management de la société pour une présentation du deal et une session de Q&A

👉 Une enquête de Bain & Company (Global Private Equity Report 2024) souligne que les fonds les plus performants adoptent des processus digitaux fluides, réduisant le temps de traitement des opportunités de 20 à 30 %.

5.Gouvernance et bonnes pratiques

  • Gestion des conflits d’intérêts : déclaration obligatoire des intérêts personnels des membres, avec abstention si nécessaire.
  • Intégration ESG : évaluation systématique des enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance dès la présentation au comité.
  • Évaluation périodique : revue annuelle du fonctionnement du comité et formation continue des membres.
  • Alignement avec les LPs : certains investisseurs institutionnels exigent un droit de regard ou un observer seat au comité.

👉 Selon le rapport de France Invest (Croissance et création d’emplois en 2022), l’intégration d’indicateurs ESG au niveau du comité d’investissement favorise une croissance plus soutenable et renforce la confiance des parties prenantes.

6.Les disfonctionnements les plus communément rencontrés

Comme on l’a plusieurs fois mentionnées la discipline est un élément clé de succès  mais comme toute organisation humaine , le Comité d’Investissement n’est pas exempt d’imperfections qui peuvent nuire à une prise de décision optimum sur un dossier spécifique ou à la longue détruire la cohésion de l’équipe.

Sans les classer par ordre d’importance :

a)les documents ne sont pas envoyées suffisamment à l’avance. Cela arrive extrêmement fréquement car le timing d’un deal est rarement parfaitement prévisible à l’avance. S’il est toujours difficile pour le champion qui présente l’opportunité de gérer la réception des informations ( conclusion d’audits ,négociation des clauses d’un SPA, etc.) il est à l’inverse très désagréable et parfois matériellement impossible de digérer la lecture d’un dossier ( qui n’est généralement pas le seul) au dernier moment.

b)le dossier ne respecte pas le template/standardisation. Ceci est assez commun en particulier à la présentation initiale( four pager) car il manque souvent des éléments déterminants du type réinvestissement du management dans un LBO secondaire ou des détails concernant le financement et rien concernant le SPA

c)certains recommandent que le comité soit présider par la même personne ( CEO-managing partner).Chez Argos , nous avons une présidence que nous appelons  modération tournante qui ne permet pas la prééminence d’une seule personne fut-il un fondateur, même si la séniorité et le tempérament ont leurs rôles dans le poids d’une décision.

d)il faut bien entendu éviter que les discussions viriles souvent nécessaires tournent au pugilat et laissent des traces. Il faut parfois aussi assurer les service après-vente d’une décision de refus et reprendre avec le champion du deal écarté ,les arguments échangés .C’est typiquement le rôle du ou des plus seniors de revisiter la décision avec ce dernier.

e)commencer à l’heure.Faut-il rappeler que démarrer un quart d’heure en retard dans un comité à 6 , outre l’impolitesse de l’attitude ,c’est 1H15 de temps de management perdu !

Conclusion

Un comité d’investissement bien organisé est à la fois un outil de contrôle et de création de valeur en particulier revue du portefeuille et des sorties .Il discipline les décisions d’investissement, renforce la confiance des investisseurs qui lie sa composition avec les clauses de Key Man. La clé réside dans un équilibre subtil : suffisamment structuré pour éviter les biais et dérives, mais assez agile pour capter les opportunités dans un environnement compétitif.

Comme le résume Josh Lerner (Harvard Business School, Private Equity and Venture Capital, 2020) :

« La qualité du comité d’investissement est le meilleur prédicteur de la constance des performances d’un fonds sur plusieurs générations. »