Il y a dans le private equity un moment dont on ne parle presque jamais publiquement, mais que tout praticien connaît : celui où l’on doit remplacer le dirigeant. C’est la face sombre, brutale, du métier. Dans la plupart des histoires que nous racontons, le dirigeant est ce héros qui, épaulé par le fonds, mène son entreprise vers de nouveaux sommets. Mais il arrive que la relation se brise, que la confiance s’effondre, et qu’il faille trancher. Et dans un LBO, ce n’est pas le dirigeant qui tranche. C’est le fonds.
La violence est d’abord psychologique. Pour un fondateur, être débarqué de son entreprise, c’est perdre bien plus qu’un poste : c’est perdre une part de lui-même. C’est une blessure narcissique et identitaire. J’ai vu des hommes pleurer en silence en quittant la salle du conseil, incapables d’imaginer leur vie sans cette entreprise qu’ils avaient façonnée. J’ai vu des familles se déchirer, des équipes se disloquer, des projets avortés. C’est toujours une tragédie intime, même si elle se déroule derrière des portes closes, loin du regard des salariés et du grand public.
Mais il y a une différence selon les cas. Dans un MBO, quand c’est l’équipe dirigeante en place qui conduit l’opération, le fonds arrive en partenaire : il y a une histoire commune, une légitimité partagée. Le remplacement est plus rare, plus délicat, presque sacrilège. Dans un MBI, en revanche, quand un nouveau manager est parachuté avec l’appui du fonds, le rapport est différent. Dès le départ, la relation est asymétrique : le dirigeant doit sa place au fonds. Et s’il déçoit, il sait qu’il est remplaçable. Le fonds garde toujours la main, comme une ombre au-dessus de lui. Le MBI est souvent un mariage de raison, parfois heureux, parfois cruel.
Ce qui rend le LBO si particulier, c’est cette asymétrie radicale. Le dirigeant, même associé, même actionnaire minoritaire, ne détient jamais la clé ultime : celle de la sortie. Dans une société cotée, un dirigeant peut espérer durer, convaincre son conseil, jouer avec les cycles boursiers. Dans une entreprise familiale, le fondateur majoritaire choisit quand il vend, ou à qui il transmet. Dans un LBO, non. La sortie n’est pas sa décision, mais celle de l’actionnaire financier. Le calendrier est dicté par la logique du fonds, par les attentes des LPs, par le retour attendu, par les cycles ou les opportunités . Et le dirigeant, aussi brillant soit-il, doit s’y plier.
C’est une violence silencieuse. On la cache derrière des communiqués neutres : “un nouvel actionnaire stratégique prend le relais”, “le management a décidé de se tourner vers de nouveaux horizons”. Mais la vérité est simple : dans un LBO, le pouvoir ultime appartient au financier. C’est lui qui décide quand l’histoire s’arrête.
Cette asymétrie est souvent mal vécue par les dirigeants. Ils vivent l’entrée du fonds comme une alliance, et découvrent, au moment de la sortie, que ce n’était pas un mariage, mais un contrat à durée déterminée. Certains le comprennent et l’acceptent : ils jouent le jeu, accompagnent la sortie, et repartent avec une fortune nouvelle, parfois en faisant plusieurs MBO successifs. D’autres se sentent trahis, jetés après usage.
C’est ici que le private equity montre sa double face. D’un côté, il est un formidable accélérateur de croissance, un partenaire exigeant qui transforme les entreprises. De l’autre, il est un actionnaire implacable, qui ne tremble pas quand il faut remplacer un dirigeant ou forcer une sortie. Ce mélange de soutien et de dureté est la marque même du métier. Il n’y a pas de private equity sans cette capacité à dire “stop” quand la confiance est perdue, ou quand le cycle du fonds impose la sortie.
Je n’idéalise pas cette violence, ce droit et vis à vis des LP’s une obligation . Je l’ai vue, je l’ai exercée et en ce qui concerne la révocation des dirigeants qui ont démérité, l’expérience vous apprend que l’on agit jamais suffisamment tôt . Elle laisse des cicatrices, des rancunes, des amitiés ou des estimes brisées. Mais je sais aussi qu’elle fait partie du contrat. Les manageurs qui réussissent en private equity sont ceux qui l’acceptent dès le début : ils savent que le fonds sera un allié exigeant, mais qu’il gardera toujours la main sur la fin de l’histoire.
C’est peut-être là le paradoxe ultime du private equity : en apportant de la fluidité dans la transmission des entreprises il donne du pouvoir aux dirigeants, il les pousse à se dépasser, mais il leur retire la maîtrise du temps. Dans un LBO, la croissance, l’expansion, la transformation appartiennent au management. Mais la sortie, l’instant décisif où l’histoire se clôt, appartient au financier. Et cela, aucun dirigeant ne peut l’oublier.
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